Outremonde, Laura Henno
Exposition du 13 mars au 12 septembre 2020
Outre monde, autre monde.
Une voyelle sépare « l’Outre » monde de « l’Autre » monde, et c’est bien dans un autre monde que nous entraîne Laura Henno, au-delà du nôtre urbain certes, car perdu dans le désert californien, mais cet adverbe « outre » signifie aussi « en plus » du monde. Elle y pratique l’immersion poétique, celle qui sépare le documentaire créatif du reportage, rejoignant l’imaginaire européen à propos du mythe américain. Nous avions découvert Slab City, en 2007 dans le film « Into the wild » qui parti de la fiction cinématographique inspiré par le personnage réel de Christopher McCandless, nous emmenait vers un retour mémoriel et nostalgique de son histoire tragique. Avons aussi souvenir d’avoir vu passer des reportages de photographes américains dans ce lieu étrange et hors du commun, devenu presque couru, malgré son isolement géographique. Là résidait le risque que prenait Laura Henno en s’engageant sur le terrain glissant de Slab, en fait nommé ainsi à cause des dalles (qui est la traduction française) et des plaques héritées recouvrant le sol d’une ancienne base militaire de la seconde guerre mondiale, démantelé en 1956 quarante puis occupée par des soldats installés à sa fermeture.
Slab City, ancienne base militaire de la seconde guerre mondiale, démantelé en 1956 puis occupée par des soldats installés à sa fermeture est un endroit emblématique d'une certaine Amérique. Laura Henno s'y est rendue plusieurs fois réalisant de nombreuses photographies et un film, tous deux d'une grande sensibilité intemporelle. Son projet qui croise la sociologie, ne se limite pourtant pas à ce champ, que goûtait dans l'entre-deux guerres son ainée américaine Dorothea Lange, ni à celui d'un constat anthropologique sur des marginaux. Il s'articule et se centre autour d'une vision plus intimiste et poétique qui relate les faits et gestes d'une famille : Mary Ann, Ethan et Jack Jack devenant les héros de sa saga, aux côtés des autres résidents, le Pasteur Dave, Benjamin, Julie, Michael, Connie et les chiens Chronos et Zéro ; personnages qui déclenchent aussitôt notre sympathie. Portraits individuels faits à la chambre, qui constituent dans le même temps, un portrait général de cette communauté dans ce territoire délimité, par les mobil home, quelques arbres solitaires, flanqués d'objets insolites et horizon brulé dans les lointaines chaines de montagne, vision globale et indivisible qui recèle une puissance photographique rare, et un sentiment de familiarité bizarrement rassurante pour le spectateur de ces images magnifiques dans leur simplicité touchante, exempte de toute sentimentalisme ou pathos misérabiliste.
Laura Henno comme habitée et inspirée par la grâce de l'instantanéité saisie, nous rend proches ces gens pourtant si loin de nous, recréant une forme d'humanisme moderne, rappelant les travaux des photographes humanistes français comme Édouard Boubat.
Elle y réussit grâce au choix des lumières de fin journée, posant lentement ses prises de vues à l'aide du trépied, guettant l'abandon de ses modèles, les capturent à l'heure du soleil rasant, avec ces rayons jaunes d'or, qui irisent les chevelures, parfois en contre-jour, presque comme une aura transfigurant* les visages de ses protagonistes.
On est immédiatement conquis, et l'on abandonne ses craintes et préjugés sur « l'autre » cet « étranger qui fascine, en même temps qu'on le redoute. On oublie les différences sociales, ethniques, les difficultés psychologiques qu'implique leur situation précaire et la violence souterraine qui s'en suit, et l'on se prend à rêver à une humanité meilleure et originelle : « The last free place on earth ».
En partenariat avec la
Galerie Les Filles du Calvaire à Paris.