“Durant trois années, Philippe Chancel a documenté la vie courante dans sept pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Après avoir travaillé sur la Corée du Nord puis les Émirats arabes, ainsi que dans de nombreux pays avec son grand oeuvre Datazone identifiant les principaux points de bascule géopolitiques, le photographe vient ici interroger la vitalité de pays encore trop souvent représentés de façon stéréotypée, entre exotisme et dolorisme.
Comment en tant que photographe occidental ne pas reconduire, de façon consciente ou inconsciente, toute une tradition de regards sur l’Autre abîmés par la culture coloniale ? Philippe Chancel tente ici de déconstruire l’imaginaire africain des occidentaux en travaillant l’image de façon « non-extractive ». C’est-à-dire en n’allant pas prélever ce qui est attendu pour l’isoler et le disposer dans un récit convenu et le plus souvent en surplomb, mais au contraire pour produire une image en immersion cherchant à traduire une énergie tangible lors de ses visites.
Apparaît alors la foule des signes. Partout dans la rue, enseignes, ornements vestimentaires, tee-shirts à message, images encadrées et gestes codés bousculent l’observateur. L’Afrique parle une langue bien au-delà du langage, on y trouve dans les architectures ou les costumes, dans les publicités ou les masques les signes des héritages coloniaux, ceux des traditions ancestrales, ceux de la mondialisation… La photographie, parce qu’elle est une langue étrangère familière à tous, permet à Philippe Chancel de révéler cet empire des signes.
Le mouvement et l’énergie de sociétés où règne la jeunesse résonnent de ce dialecte encore inconnu : l’aube d’une langue commune. Sous l’objectif de Philippe Chancel l’Afrique fait signe, en faisant un clin d’oeil au fameux Empire des Signes de Roland Barthes, qui décodait le Japon du milieu du XXe siècle, le photographe nous indique ici qu’une communication s’établit souvent malgré nous, il suffit d’en voir les signes.
Philippe Chancel trouve ici le moyen de faire monde en décolonisant nos imaginaires mais aussi en donnant encore une chance à la photographie. Défendre la fonction documentaire de l’image à l’heure de l’Intelligence artificielle, qui ne peut que reconduire et amplifier le déjà-vu, est une exigence qui donne toute sa valeur à l’expérience du photographe. En pleine crise de la vérité, la pertinence du regard photographique s’offre comme un lien fragile mais nécessaire.”
Michel Poivert, commissaire de l’exposition
dossier de presse
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