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OUTREMONDE

Laura Henno

Exposition du 13 mars au 16 mai 2020

© Maryann and jack-Jack, Outremonde, Laura Henno, 2017

Outre monde, autre monde.

Une voyelle sépare « l’Outre » monde de « l’Autre » monde, et c’est bien dans un autre monde que nous entraîne Laura Henno, au-delà du nôtre urbain certes, car perdu dans le désert californien, mais cet adverbe « outre » signifie aussi « en plus » du monde. Elle y pratique l’immersion poétique, celle qui sépare le documentaire créatif du reportage, rejoignant l’imaginaire européen à propos du mythe américain. Nous avions découvert Slab City, en 2007 dans le film « Into the wild » qui parti de la fiction cinématographique inspiré par le personnage réel de Christopher McCandless, nous emmenait vers un retour mémoriel et nostalgique de son histoire tragique. Avons aussi souvenir d’avoir vu passer des reportages de photographes américains dans ce lieu étrange et hors du commun, devenu presque couru, malgré son isolement géographique. Là résidait le risque que prenait Laura Henno en s’engageant sur le terrain glissant de Slab, en fait nommé ainsi à cause des dalles (qui est la traduction française) et des plaques héritées recouvrant le sol d’une ancienne base militaire de la seconde guerre mondiale, démantelé en 1956 quarante puis occupée par des soldats installés à sa fermeture.

© The chocolate mountain gunnery range, Outremonde, Laura Henno, 2017

Dès lors le lieu fut sans cesse habité, le nombre de résidents culminant dans les années soixante-dix, avant de décliner jusqu’à l’arrivée de l’artiste française dans la seconde décennie des années deux mille. Seuls cent cinquante slabbers y survivent encore actuellement toute l’année grâce aux subsides de l’état. En été les températures deviennent intenables et la plupart des habitants s’en vont, parfois avec leur caravane et dans leurs vans ou laissent leurs camping-cars, pour les retrouver au printemps et aller se baigner dans les sources naturelles d’eau chaude avoisinantes. 

Slab City est donc un endroit emblématique d’une certaine Amérique et Laura Henno s’y est rendue plusieurs fois réalisant de nombreuses photographies et un film, tous deux d’une grande sensibilité intemporelle. Son projet qui croise la sociologie, ne se limite pourtant pas à ce champ, que goûtait dans l’entre-deux guerres son ainée américaine Dorothea Lange, ni à celui d’un constat anthropologique sur des marginaux. Il s’articule et se centre autour d’une vision plus intimiste et poétique qui relate les faits et gestes d’une famille : Mary Ann, Ethan et Jack Jack devenant les héros de sa saga, aux côtés des autres résidents, le Pasteur Dave, Benjamin, Julie, Michael, Connie et les chiens Chronos et Zéro ; personnages qui déclenchent aussitôt notre sympathie. Portraits individuels faits à la chambre, qui constituent dans le même temps, un portrait général de cette communauté dans ce territoire délimité, par les mobil home, quelques arbres solitaires, flanqués d’objets insolites et horizon brûlé dans les lointaines chaînes de montagne, vision globale et indivisible qui recèle une puissance photographique rare, et un sentiment de familiarité bizarrement rassurante pour le spectateur de ces images magnifiques dans leur simplicité touchante, exempte de toute sentimentalisme ou pathos misérabiliste.

© HeShe and Raven, Outremonde, Laura Henno, 2017

Laura Henno comme habitée et inspirée par la grâce de l’instantanéité saisie, nous rend proches ces gens pourtant si loin de nous, recréant une forme d’humanisme moderne, rappelant les travaux des photographes humanistes français comme Édouard Boubat.
Elle y réussit grâce au choix des lumières de fin journée, posant lentement ses prises de vues à l’aide du trépied, guettant l’abandon de ses modèles, les capturent à l’heure du soleil rasant, avec ces rayons jaunes d’or, qui irisent les chevelures, parfois en contre-jour, presque comme une aura transfigurant* les visages de ses protagonistes 

© HeShe and Raven, Outremonde, Laura Henno, 2017

On est immédiatement conquis, et l’on abandonne ses craintes et préjugés sur « l’autre » cet « étranger qui fascine, en même temps qu’on le redoute. On oublie les différences sociales, ethniques, les difficul- tés psychologiques qu’implique leur situation précaire et la violence souterraine qui s’en suit, et l’on se prend à rêver à une humanité meilleure et originelle : « The last free place on earth ». 

L’Outre monde de Laura Henno nous touche au cœur, elle va au cœur des choses, de l’humain et l’on comprend une fois de plus que la pauvreté (qui n’est pas misère) enlève toutes les défenses que procurent la sécuri- té, l’argent et la puissance. Tout y est à vif, métaphore de la fin d’un monde qui nous occupe. 

Certes cette œuvre lumineuse ne recouvre peut-être qu’un leurre que Laura Henno nous tend, un embellisse- ment concerté de la réalité quotidienne de ces familles, qui recoupe notre désir de paix dans le désert, que l’on projette, mais il a le mérite de nous réchauffer et nous rassérène le temps de la rencontre dans l’exposition, comme sortie de la mémoire de cette outre-tombe américaine, qu’une couverture arrachée d’un livre mentionne « the dark night of the soul » cette traversée de la nuit noire de l’âme que décrivait Jean de la Croix. 

Gilles Verneret 

* rien de mystique dans cette approche l’aura colorée pouvant être captée par un autre appareillage, mais qui ne laisse ici que l’ambiance apaisante.

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