Laura henno
Née en 1976, Laura Henno vit et travaille à Paris. Elle a initialement une formation de photographe et s’initie au cinéma au Fresnoy. Elle est lauréate du Prix Découverte des Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles en 2007. Depuis plusieurs années, Laura Henno appuie sa démarche photographique et filmique sur les enjeux de la migration clandestine, aux Comores, sur l’île de la réunion ou à Calais. Elle se confronte à la situation des migrants et des jeunes passeurs, avec une ambition documentaire réinvestissant le réel de potentiels de fictions et de récits. Les images qui en résultent provoquent un trouble et puisent dans les codes picturaux et cinématographiques.
Une voyelle sépare « l’Outre » monde de « l’Autre » monde, et c’est bien dans un autre monde que nous entraine Laura Henno, au-delà du nôtre urbain certes, car perdu dans le désert californien, mais cet adverbe « outre » signifie aussi « en plus » du monde. Elle y pratique l’immersion poétique, celle qui sépare le documentaire créatif du reportage, rejoignant l’imaginaire européen à propos du mythe américain. Nous avions découvert Slab City, en 2007 dans le film « Into the wild » qui parti de la fiction cinématographique inspiré par le personnage réel de Christopher McCandless, nous emmenait vers un retour mémoriel et nostalgique de son histoire tragique. Avons aussi souvenir d’avoir vu passer des reportages de photographes américains dans ce lieu étrange et hors du commun, devenu presque couru, malgré son isolement géographique. Là résidait le risque que prenait Laura Henno en s’engageant sur le terrain glissant de Slab, en fait nommé ainsi à cause des dalles (qui est la traduction française) et des plaques héritées recouvrant le sol d’une ancienne base militaire de la seconde guerre mondiale, démantelée en 1956 puis occupée par des soldats installés à sa fermeture.
Laura Henno comme habitée et inspirée par la grâce de l’instantanéité saisie, nous rend proches ces gens pourtant si loin de nous, recréant une forme d’humanisme moderne, rappelant les travaux des photographes humanistes français comme Édouard Boubat. Elle y réussit grâce au choix des lumières de fin de journée, posant lentement ses prises de vues à l’aide du trépied, guettant l’abandon de ses modèles, les capturent à l’heure du soleil rasant, avec ces rayons jaunes d’or, qui irisent les chevelures, parfois en contre-jour, presque comme une aura transfigurant* les visages de ses protagonistes. On est immédiatement conquis, et l’on abandonne ses craintes et préjugés sur « l’autre » cet « étranger qui fascine, en même temps qu’on le redoute. On oublie les différences sociales, ethniques, les difficultés psychologiques qu’implique leur situation précaire et la violence souterraine qui s’en suit, et l’on se prend à rêver à une humanité meilleure et originelle : « The last free place on earth ».
Gilles Verneret