jeffrey wolin
Les portraits de Pigeon Hill se présentent comme un fascinant survol visuel au-dessus du temps symbolisé par le sous-titre de la série « Then and Now ». « Then », cet adverbe que l’on peut traduire par « alors » ou bien « à cette époque » et « en ce temps-là », peut l’être aussi par « ensuite », qui induit la notion de « ce qui vient après » ; ce présent que Jeffrey Wolin intitule simplement « Now », qui fait suite au passé, et dont découle toujours un avenir. Vingt années séparent approximativement ces deux périodes de prise de vue, et divisent ce travail en deux corpus d’images montrées côte à côte, tout en renvoyant dos à dos leur signifié – passé et présent : then and now. Tous ces portraits ont été pris dans le quartier Pigeon Hill de Bloomington, Indiana, dont la réputation de dangerosité a été et reste avérée, avec son lot de criminalité, de réseaux de stupéfiants et de pauvreté récurrente. De 1987 à 1991, avec l’aide d’une bourse Guggenheim, le photographe est allé photographier les habitants de ce quartier, chargeant ses photographies d’une résonance affective immédiate, d’où s’exhale une émotion particulière. Le choix du noir et blanc finit d’ajouter au malaise provoqué par le doute devant ces portraits des mêmes personnes séparés par deux décennies. En effet, début 2011, alerté par un article du journal local de Bloomington relatant le décès d’une personne rencontrée vingt ans plus tôt, Jeffrey Wolin a poussé sa curiosité jusqu’à retourner sur les lieux du crime photographique, afin d’y retrouver ses anciennes connaissances. Puis, dans la suite de sa démarche des Vétérans du Vietnam, il a élaboré un projet artistique à dimension anthropologique et poétique, tout habité par ce sentiment visionnaire unique d’évidence, sur l’influence que possède le milieu social et environnemental sur le devenir de l’être humain. On n’oubliera pas cette impression de familiarité presque tactile au contact de ces histoires simples, touchantes ou tragiques car humaines, trop humaines. Jeffrey Wolin, non content de nous exposer les ravages de ce temps objectif sur l’image corporelle, comme dans la célèbre série de Nicholas Nixon The Brown Sisters, développe simultanément une volonté d’édification d’un récit de vie, une sorte d’album de famille surligné de chacun de ses sujets, pour lesquels il intègre dans la texture même de l’image des phrases écrites à la main : notations biographiques qui relatent des épisodes, souvenirs ou états d’âme de leurs vécus. Ces images légendées instituent une continuité psychologique dans ce qui n’était peut-être que des moments disparates et discontinus, sans autre lien que l’identité sociale de ces individus. Donner du sens à la vie, à leur vie, constituer une mémoire signifiante à la fois pour ces personnes elles-mêmes, afin de faire perdurer leurs témoignages en les confrontant à leur propre histoire, et pour un public susceptible d’approfondir d’autres réalités, tel est le projet abouti de Pigeon Hill présenté pour la première fois en France.
Antoine Agoudjian
Né en 1961 à Saint-Maur
Expositions:
« le cri du silence » – Le Bleu du Ciel – 03.04.2015 au 13.06.2015