sur la photographie

Du mode de la mode.

à Olivier Metzger

Artificiel et naturel.

Travailler en lumière artificielle avec des sources ajoutées de flashs ou de tungstène n’est pas innocent. Si la photographie est bien l’art du réel, elle doit le coller au plus près et aller vers le naturel. Mais « chassez-le, il revient au galop » même s’il prend parfois les formes de « l’artificiel » !
Naturel : c’est à dire ce qui est naturellement mis en forme. Certains mondes usent et se nourrissent de l’artifice, comme celui de la mode et engendrent une beauté glacée qui passe comme passent les modes.
Il n’est pas étonnant que ce soient ces photographes qui utilisent la lumière artificielle. Une mode n’est au fond qu’un protocole de fonctionnement qui se différentie « du » mode, en ce qu’elle ne se relie pas à une vision intérieure, mais se calque sur les standards extérieurs et sociétaux et ceux là changent comme les vents…
Le standard rassure, que ce soit en photographie de reportage ou de mode, en ce qu’il recopie des formes, soit inconsciemment soit en cultivant l’illusion de faire du neuf.
Le reportage se nourrit de l’esbroufe de l’actualité supposée présente et donc rentable. La mode recherche le « beau » et invente ses codes de représentation lisibles par le plus grand nombre, afin de faire vendre le produit représenté ou lui même en représentation, qu’elle magnifie. Leurs buts à toutes deux est purement commercial ou ressort toujours d’une commande, jamais d’une gratuité, ceci au vu de son coût. Comme dans les productions cinématographiques importantes, la photographie de mode affiche immédiatement son prix à la surface de/dans l’image. Le contraire de « l’arte povera » !

La photographie, fondamentalement, est un art gratuit, du ressort de Narcisse qui n’a pour but que de nous certifier notre « existant ».
La beauté de la photographie de mode est de se renvoyer une image gratifiante, qui assure l’estime de soi et de ses privilèges, c’est une photographie qui vaut son pesant d’or et doit en rendre compte dans ses signifiants.
Elle n’est pas spontanée mais secondaire, fruit d’une réflexion souvent acérée, au niveau technique, commercial et donc sociologique. Bien sûr elle n’échappe pas au constat que toute photographie dénote à son insu : celle de classes privilégiées qui associent la beauté au luxe et à la valeur marchande des choses.

Comme les modes et privilégiant les vitesses rapides du 500ème au 4000ème de seconde, elle passe rapidement avec les années et rencontre et subit peu après la désuétude des formes, beaucoup plus vite en tout cas qu’une photographie à vocation humaniste ou documentaire.
Qui ne subira pas l’épreuve du temps. Que reste-t-il de Guy Bourdin aujourd’hui ? De beaux écrins… et surtout une manière moderne et de voir et d’anticiper des modes d’aujourd’hui. A nous, en tout cas de n’en pas juger.
La mode bouge et suit le mouvement du monde dit-on ! Elle est directement liée à la publicité, et là pour vanter le mérite des choses. La subjectivité y est en partie absente remplacée par un formalisme de surface, censée être un style, en tout cas le revendiquant afin d’ÊTRE RECONNU.
Il y’a autant de beauté dans un squat et dans un terrain vague encombré de détritus que dans la place de la Concorde.
Mais dans cet exemple, un regard distancié sur la richesse est souvent très délicat, car très rapidement l’opérateur se prend aux pièges des facilités dont elle l’inonde faisant se diluer le sens critique, à cause de la finalité financière, qu’elle poursuit et sombrant de ce fait dans l’anecdote ou le cynisme comme le talentueux Martin Parr. Notons au passage les tentatives de Jessica Graig-Martin, de Tina Barney et de bien d’autres remarquables regardeurs qui font comprendre que la beauté cache la laideur comme l’inverse.
Ajoutons que ce qui est éclairant est l’amour et que le milieu social d’origine ne constitue que le terreau qui peut aussi bien aveugler que révéler. Cette notation nous ramenant à la notion d’individualité, tenant et aboutissant de toute création.

De la vitesse du temps dans le temps:

Est ce que la vitesse d’obturation rend compte du temps ? Vaste question aujourd’hui en désuétude mais qui a interrogé nos ancêtres. Plus le temps a passé depuis la première image (1822), plus les vitesses photographiques se sont accélérées. On posait plusieurs heures aux origines, puis une demi-heure, puis dix minutes, puis un soixantième de seconde, puis un quatre millième de seconde. La photographie suit et révèle l’accélération du monde dans sa dimension psychologique. Car le temps objectif reste le même bien sûr.
Plus on avance dans des vitesses élevées, plus on produit d’images, plus la quantité de réel prélevé est infime et perd en qualité intrinsèque ce qu’elle gagne en quantité.
Ce n’est pas le lieu de le développer.
L’image de mode ressemble de plus en plus à l’image jetable de nos portables et plus elle se soigne plus elle s’efface. Avant de l’avoir vue, on en connaît déjà les codes. Codes de temporalité manipulée par les industriels et les communicants. La latence de l’image marque sa temporalité future, sa capacité d’imprégnation relève de sa faculté à éveiller l’intelligence.
Et la vraie nouveauté ne naît pas de la forme inconnue, mais de son aptitude à déclencher la réflexion, rejoignant son statut mythologique, de Narcisse.
Lorsqu’on regarde des portraits d’Edward Curtis, de Paul Strand ou dernièrement d’Eric Dessert on est frappé par l’arrêt du regard quelle provoque en nous, déclenchant immédiatement une durée, une imprégnation, garante d’un vécu intérieur. Plus l’on regarde légèrement les choses et qu’on les shoote rapidement plus la latence s’accélère et fait place immédiatement à d’autres images.
C’est le subconscient qui absorbe la vision mais contrairement à ce que pensent les publicitaires, elle s’évacue au fond de la psyché, de façon presque digestive pensant que l’image incarnée élève la conscience.
On peut certes comme Olivier Metzger combiner le temps rapide avec un temps de pose allongé. Un Huit centième de seconde sur une scène pour y jeter, comme un éclair de couleur tout en gardant un long temps de pose pour ‘ensemble du sujet.
Et Metzger se retrouve ainsi à la frontière de la photographie de mode et de son mode imaginaire créatif.

Un million sept cent quatre vingt cinq mille quatre cent images jour!

Il y a pléthore… pléthore d’images, d’art, de mots et tout simplement d’humains…Dans le triangle : pléthore égale la base et l’excellence : le sommet et il nous faut sans cesse grimper. Mais la pléthore nous noie et empêche de trouver la voie d’escalade. Aucune garantie d’en réchapper sinon celle du repli sur soi et de la marche en avant, suivant ses propres pas invisibles, à l‘œil nu, d’où la cordée… photographique comme sécurisation de la mémoire.

La pléthore se développe avec la communication qui est l’ennemi de l’excellence. La communication entraîne l’incommunicabilité, voile et déforme le regard. Des milliers d’images arrivent dans notre cerveau. En terme d’images photographique le mouvement s’anime à un rythme de 24 images à la seconde, 1240 à la minute, 74400 à l’heure, 1 785 400 images en une journée ! Mais le réel inatteignable et imprenable par définition se moque du temps que la camera obscura prend à le piéger, il connaît trop bien cette illusion de l’image. L’expérience du réel ne doit pas se confondre avec le réel. La photographie est l’art du réel ou le plus proche de lui, de là sa fascination et l’illusion engendrées (cf. Certificat de réalité ou effet réel). Cependant cette expérience est sa particularité et l’en éloigner la coupe de son identité. Même quand elle se fictionnalise la photographie reste la relique du réel. Même quand elle se vernacularise (images au service social : caméra de surveillance et images publicitaires etc…) elle ne quitte pas cette enveloppe sœur de l’apparence du réel. Le réel est sans doute une apparence selon la physique quantique et sa matière qui ne contient que du vide… Il faut admettre dans cette hypothèse que le réel ne se commande pas, qu’il obéit à ses propres lois qui sont celles du hasard, dans lequel s’engouffre boulimiquement l’être humain. Son désordre apparent peut être immobilisé par la chambre noire, argentiquement, numériquement qu’importe… Pour transformer l’imagéation d’image latente en image incarnée, il est besoin d’un support surface planéiforme, cerné majoritairement par des formes rectangulaires ou carrés. La on immobilise le réel, on arrête un instant le flot des 74 400 images minute, l’on se pose et l’on invente la notion d’éternité et l’on se persuade de la permanence possible du monde.

Ouf l’image ! Bien fait le réel ! Nous sommes immortels dans l’argentique et l’histoire peut enfin dérouler son cortège d’illusions. La photographie se fait document comme on est fait homme, elle rend compte avant tout du temps et de la pensée, tous deux englobés dans l’imaginaire. Nous ne quittons jamais l’imaginaire, comme le sein de la mère terre et nous y retournons insatisfaits et inquiets. Pas eu le temps de vivre et d’arrêter ne serait qu’une ou deux images, (pour une vie d’homme moyenne de 75 ans égale 133 905 000 images passées en revue et tombées dans les limbes de l’inconscient, que l’on nomme oubli, avant que nos os mêmes ne tombent en poussière, si ils ne l’étaient déjà dans le vide de la relativité interstellaire. Une ou deux images qui nous quittent avec le dernier souffle, peut-être… Dieu (ou sa notion) est irreprésentable dans les religions, on comprend pourquoi !!! La photographie relève de l’imaginaire même quand elle reconstitue les images de galaxies lointaines, elle est une reconstitution imagée de la pensée mathématique, ou bien lorsqu’elle qu’elle pénètre dans le creux de nos artères. Imaginaire incertain mais rassurant comme le croit être la permanence du temps, figeant l’image du réel. (Ne pas perdre de vue que plus le savoir scientifique avance, plus la connaissance recule.) Le propre du réel faut-il le rappeler étant d’être irreprésentable, indéfinissable, inquantifiable et invisible. Si l’on admet l’idée (saugrenue) qu’une chose puisse être plus sacrée qu’une autre, c’est bien le cas de l’image photographique qui peut alors être élevée au rang d’icône de la modernité. Et l’on rejoint le mot « pléthore » du commencement. Six milliards d’êtres humains traversent quotidiennement 1 785 400 images soit 1,07124e+16 images qui passent dans ces cerveaux occupés. Et si l’on met en route les portables et les appareils photographiques on a plusieurs milliards d’images par jour qui deviennent visibles. Certains diront c’est extraordinaire, d’autres que c’est d’une banalité effrayante…
Et si nous faisions taire les images et pérenniser le silence visuel, qui nous amènerait alors naturellement à l’excellence du regard impermanent. Dit autrement : si nous ne fixions plus rien ou ne gardions contact qu’avec l’essentiel. Le vide de la lumière, adhérant à sa vitesse. Un challenge mathématique.


Gilles Verneret