photographes

andré gamet

Le parcours d’André Gamet a été exemplaire à plus d’un titre. D’abord sur le plan humain, qui a conditionné tout au long de sa carrière cette attitude humaniste, qui l’a guidé à la même époque que d’illustres compagnons : Doisneau, Ronis, Dieuzaide ou Boubat, auxquels s’applique avec lui la sentence d’Edward Weston : « Il faut vraiment le vouloir pour contraindre un appareil photo à mentir : fondamentalement, c’est un moyen d’expression honnête… Et la vision contemporaine, la vie nouvelle, s’appuie sur une approche honnête de tous les problèmes, qu’ils soient moraux ou esthétiques ». Ensuite sur le plan de l’œuvre, qui s’écoule comme un long fleuve tranquille, entre Rhône et Saône, de 1935 à aujourd’hui, sur soixante-dix années de parcours photographique. « Un monde nouveau », c’est bien cette France d’après-guerre qu’a guettée de derrière son viseur André Gamet, avec assiduité, constance et honnêteté ; ce monde en mutation qu’il a vu basculer de la société rurale à la société post-industrielle de consommation. Aujourd’hui que sonne le temps des « mémoires », André Gamet se penche sur son passé et revisite ses archives. Il nous transmet au fil des images une mosaïque testamentaire, qui constitue à travers sept décennies cette « identité française » qu’il s’était donnée d’identifier, avec simplicité au départ mais presque comme une mission, à travers sa propre sensibilité. Car l’objectivité n’est qu’un leurre en photographie, qui ne reproduit que des images de la réalité et non la réalité elle-même, comme des vestiges d’un réel un instant immobilisé sur des surfaces planes en papier d’argent. S’il a fait œuvre d’artiste, c’est à son corps de photographe défendant, le témoignage direct et sincère l’emportant toujours chez lui sur la volonté esthétique, ou sur des considérations plastiques pourtant présentes. La vision documentaire prime donc en apparence, dans « ce portrait d’une époque singulière », sur la créativité subjective, comme l’éthique de vie associée à une sensibilité personnelle sur la réflexion conceptuelle. Mais l’œuvre de Gamet reste avant tout poétique, au regard du monde de l’art, même, elle remplit aussi sa fonction de « document », en ouvrant les portes aux interprétations des historiens et des sociologues. « On ne peut pas posséder le présent mais on peut posséder le passé… On ne peut pas posséder la réalité, on peut posséder (et être possédé) des images…» écrivait Susan Sontag. La distinction étant faite, tout photographe lucide, malgré de pieux vœux d’innocence humaniste, ne peut nier qu’il est, en puissance, un prédateur de réalités, et qu’il a choisi ce médium qui privilégie la relation avec le réel, parce qu’il lui permet de prendre des images mentales, de les retenir dans le cristal d’argent, cultivant l’illusion de retenir le monde. Il y a dans le profil psychologique de tout homme qui photographie une volonté boulimique de s’incorporer, de s’approprier le monde, qu’il soit paysages ou êtres humains. Il lui reste à ne jamais perdre de vue que ce n’est pas le monde, fût-il nouveau car en mutation comme chez Gamet, qui est retenu, mais seulement des « images du monde ». L’homme photographique révèle dans ce geste sa fragilité face à la mort, et sa monstrueuse nostalgie devant ce qui a été et qui va disparaître, et qui pourtant nous contemple dans une empreinte – ce vestige cada-véridique de l’image – autant que nous la contemplons, monde mort qui brille par son absence, que Barthes a si bien décrit. À défaut donc d’avoir le monde réel, on possède la réalité de l’image, on la consomme par le regard et par la pensée qui s’en suit ou s’en empare, dans des livres ou dans des expositions. On peut même la posséder pour la consulter à loisir. Depuis l’après-guerre et l’avènement de la société de consommation, on a fini par identifier ce monde photographié au monde réel, l’image certifiant que la réalité existe bien, et qu’elle se résume à cette image… 

Antoine Agoudjian

Né en 1961 à Saint-Maur

Expositions:

« le cri du silence » – Le Bleu du Ciel – 03.04.2015 au 13.06.2015