expositions
Philippe Bazin & Christiane Vollaire
Pierre Vallet
Exposition du 4 février au 19 mars 2022
A l'épreuve des solidarités
Polonaises
Deux expositions
Depuis une dizaine d’années, nous avons vu peu à peu la photographie, avec son histoire et son approche spécifiques, être dévorée par le concept de l’image dans sa globalité. La photographie est un procédé technique qui permet d’obtenir une image sur une surface sensible au moyen de la lumière, apparue au début du XIXe siècle. Elle est en voie de disparition/remplacement depuis le début des années 70, remplacée par l’image numérique qui a conservé le terme de «photographie» en changeant de technique et donc de statut initial. La surface sensible constituée d’une gélatine enduite de bromure d’argent sensible à la lumière avec ses cristaux formant le grain de l’image en dernier ressort, résultat de transformations chimiques, a laissé sa place au capteur électronique qui délivre une image formée de pixels, petits carrés de couleur. A proprement parler, l’image numérique n’est pas une photographie, bien que le résultat sur le papier soit identique.
Et ce n’est sans doute pas un hasard mais un effet de la synchronicité si les photographes, qui se définissaient alors comme des artisans créateurs, ont délaissé leur pratique traditionnelle pour se revendiquer artistes plasticiens. Terme qu’ils préfèrent à celui de «photographe», voulant l’englober dans le domaine plus large de l’image. Et donc de ce fait, la photographie s’est retrouvée absorbée par l’image généraliste et son discours. Roland Barthes dans sa chambre claire rangé dans l’histoire auprès des “has been“, Jeff Wall et son postulat «near documentary» prenant le relais dans l’enseignement des écoles d’art et des universitaires.
L’image, revendiquant alors de plus en plus voracité, s’est donc ensuite tournée vers le discours, devenant un concept englobant d’approche du monde elle a rejoint le texte au travers des sciences sociales, sociologie, ethnologie, philosophie, histoire, etc. Pour qu’à ses propres yeux la photographie ne soit plus limitée au statut d’art pauvre mais d’art moyen dans les pas de Bourguedieu, nécessitant une compréhension intellectuelle, ne pouvant plus se contenter de montrer et de décrire le monde avec ses uniques moyens visuels, elle s’est octroyée ainsi de la crédibilité aux côtés de ces sciences de l’esprit et des universités… Mais ces dernières, en devenant partenaires des images, ont endossé le statut sérieux d’illustration, de commentaire, de ces nouvelles images soudain réhaussées (comme le design l’est pour l’art), perdant de ce fait leur valeur créatrice de formes.
L’artiste plasticien photographe s’est peu à peu transformé en ce que je nomme “commis sociétal“, portant le lourd privilège de rendre une interprétation complète du monde, revendiquée dans une «weltschaung» qui ne soit pas réduite à de simples photographies de papier, devenues obsolètes au sein de ce protocole discursif.
C’est à partir de ces réflexions qu’est né — entre autres — le désir de montrer Philippe Bazin et Christiane Vollaire avec Pierre Vallet, oeuvres si différentes dans leur esthétique, le premier ayant traversé tout le parcours de la photographie argentique classique à l’image numérique pensnate, engendrant une confrontation riche en interprétations pour le public sur l’état de cet art documentaire très à la mode de nos jours et en constante évolution.
Gilles Verneret
À L’ÉPREUVE DES SOLIDARITÉS
GRÈCE 2017-2020
Partis de 2017 à 2020 dans la Grèce soumise aux injonctions économiques européennes et globales, nous souhaitions poser, par l’image et par les entretiens, la question des solidarités qui s’y affrontent.
De Thessalonique à Athènes et en Chalcidique, puis de l’île de Lesbos à celle d’Ikaria, puis de l’Épire à Patras et à la Macédoine occidentale, et enfin dans le quartier d’Exarchia à Athènes, nous avons progressivement, dans ce creuset de la Méditerranée, de ses archipels et de ses migrations, élargi le champ géographique et historique de notre recherche, dont cette exposition présente un fragment.
De la parole de nos interlocuteurs, migrants, militants, chercheurs, volontaires associatifs (et parfois tout cela en même temps), surgissent des interrogations communes, convergentes ou foisonnantes, qui ne cessent de reconfigurer le NOUS, suscité par l’échange autant que saisi par l’image.
La Grèce n’est pas seulement ce modèle antique et largement mythologisé de la construction démocratique du droit. Elle est aussi, comme cela émerge des entretiens, le lieu de la rencontre entre les cultures méditerranéennes et balkaniques. Elle est enfin, dans sa réalité actuelle issue des migrations des XXème et XXIème siècles, un laboratoire des politiques européennes, dont beaucoup sont conscients d’être les cobayes : traités non plus en sujets de leur propre histoire, mais en objets.
Bien des décisions d’engagement sont issues de moments traumatiques où se cristallise une nouvelle conscience, vitale et réflexive, du NOUS. Ce travail commun souhaite en attester, nouant l’esthétique documentaire aux enjeux d’une philosophie de terrain.
Les regards, mobilisés par la parole, sont tournés vers l’interlocutrice invisible. Mais cette invisibilité leur donne une profondeur qui va bien au-delà. Et l’effacement du décor confère à la présence des corps une intensité concentrée sur leur épaulement. Cette puissance individuelle s’inscrit ici dans la ligne de front que constitue la série des images, et que les mots viennent déplacer.
Les paysages, à l’épreuve de l’histoire, constituent une large part du travail photographique, donnant un contexte à la fois géographique et historique à toutes les formes de solidarités rencontrées durant trois ans.
La volonté de solidarité sociale et internationale fait ici retour contre une histoire qui est aussi celle de la violence policière et de la trahison politique, manifestée dans les usages de la répression envers les migrants ou les militants.
Mais l’intention solidaire entre aussi bien souvent en tension avec la question humanitaire, dont de nombreux intervenants associatifs (soignants ou travailleurs sociaux, membres d’ONG ou volontaires d’associations de quartier) perçoivent à la fois la nécessité et les impasses. La question grecque, pour toutes ces raisons, est fichée comme un pieu au cœur des politiques européennes. Mais ce n’est qu’en écoutant, en rencontrant, en regardant, que nous avons voulu donner forme à cette idée. Et c’est le travail documentaire de l’image qui porte ici dans un espace commun ceux qui font vivre ces solidarités.
Christiane Vollaire, août 2020
A l'épreuve des solidarités
Polonaises
Philippe Bazin et Christiane Vollaire
Pierre Vallet
Double-exposition du 4 février au 19 mars 2022