expositions
Silvana Reggiardo
Exposition du 05 au 29 février 2020
NY -170926
Silvana Reggiardo : New-York 666
Depuis une vingtaine d’années Silvana Reggiardo déroule tranquillement son œuvre d’images avec application et rigueur, renvoyant les spectateurs que nous sommes, devant ses photographies, au fonctionnement et à la texture même de notre vision. Plus qu’une ré- flexion et en dépit de la démarche conceptuelle adoptée, elle nous confronte à une expérience de l’instantanéité du phénomène optique, issue de sa propre expérience rapportée.
Les deux mots clés de ce travail : transparence et reflets nous ramènent à l’essence même de la photo- graphie depuis sa découverte. L’on pense irrésistible- ment au processus des plaques de verres des daguerréotypes, qui affirme le caractère ontologique de cette œuvre appliquée à l’image photographique, car il est loisible de relier ce concept à cette invention tech- nique, qui semble fasciner Silvana Reggiardo.
Elle déclare que c’est son intérêt pour cette pratique, qui dès le début a déclenché sa vocation, attirée par l’esprit magazine, lui ayant permis par la suite de travailler pour des revues d’architecture. Fille d’architecte, elle a failli embrasser cette carrière avant de se tourner vers la commande photographique, pour finir par s’engager avec le temps sur le chemin de la création personnelle.
Son studio de prises de vues est à l’extérieur, dans la rue et son environnement urbain, la flânerie fait partie de son protocole de production ; et même si l’on ne peut pas associer sa démarche à l’approche courue de la « street photography » trop anecdotique, elle a pourtant retrouvé les traces de ses ainés Phi- lip Lorca di-Corcia et Beat Streuli.
Pour NY – 170926 que nous présentons au Bleu du Ciel, elle s’est rendue dans le quartier d’affaires de Man- hattan, au 666 de la 3ème avenue, et s’y est postée avec son appareil sur un trépied, enregistrant pendant près de six heures : 8915 images choisies — parmi plus de 50 000 !!! — sélection exfiltrée puis réunie dans un album géant, dont on peut dérouler les pages au rythme du cinématographe. Ce livre quand on le manipule, engendre à la manière de la chronophotographie de Eadweard Muybridge un kaléidoscope qui recrée la temporalité issue de la prise de vues, qui superpose un temps cinématographique au temps réel.
Chaque ensemble d’images décrit le flux incessant des passants devant une colonne en acier brossé, si- tuée entre un café et un magasin de plats à emporter, qui provoque avec la diffraction des rayons lumineux, une impression visuelle proche des pixels de l’image numérique. Chaque photographie sortie de leur contexte fluctuant, ne recèle pourtant pas d’intérêt particulier, si on l’isole de la structure globale. Chaque fragment insaisissable nous fait revivre l’histoire de la photographie en accéléré et l’expérience de l’animation de la rue des mégalopoles actuelles, et nous fait croiser les séries intemporelles de Berenice Abbott et de Paul Graham dans les rues de New-York.
Néanmoins comme le souligne Silvana Reggiardo : « […] seul dans le séquencement adopté, l’arrière- plan domine, à la fois par sa présence tangible, et aussi par les variations lumineuses liées au passage du temps et des corps. Ainsi, du volume des images émerge une tension entre la figure et le fond, entre réalité et abstraction, qui sème le trouble sur ce qui nous est donné à voir ou à expérimenter. »
Ainsi comme elle l’avait déjà souligné dans son pré- cédent travail « Effet de seuil », Silvana Reggiardo joue ici avec l’espace abordé par la frontalité des- criptive, et la capture du mouvement dans l’image, tout en ayant recours comme dans ses travaux précé- dents aux capacités réfléchissantes ou transparentes du verre des façades.
NY – 170926 nous renvoie aussi à l’idée de surveillance par des caméras anonymes, qui enregistrent les mouvements des silhouettes de passants anonymes, comme dans l’approche de Jules Spinatsch.
Bien qu’absent de son propos, mais affleurant dans le climat général apparemment muet, et qui lui octroie sa force expressionniste sous-jacente, on ne peut s’empêcher de relever la symbolique présente dans le numéro de l’adresse, au cœur de Manhattan, chef-lieu mondial de la finance. Le 666 est le chiffre de la bête, citée dans l’Apocalypse du Nouveau testament.
Malaise sous-jacent à la surface des images, qui ne peut que renforcer inconsciemment le travail de l’artiste, en la positionnant, malgré elle au centre des problématiques actuelles concernant le rôle des pôles financiers invisibles, et internationaux :
« À tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, elle impose une marque sur la main droite ou sur le front. Et nul ne pourra acheter ou vendre, s’il ne porte la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom. C’est le moment d’avoir du discernement : celui qui a de l’intelligence, qu’il interprète le chiffre de la bête, car c’est un chiffre d’homme, et son chiffre est six cent soixante-six. » Apocalypse de Jean XIII 13 à 18
Gilles Verneret
NY - 170926
Silvana Reggiardo
Exposition du 02 au 29 février 2020
Commissariat : Gilles Verneret